Voyage au Canada : randonnée en Gaspésie et traversée du pays en train

Depuis mon voyage en Écosse, les tournages se sont enchaînés, très rapprochés. Loin de m'en plaindre, j'attendais néanmoins un moment de creux pour partir plus longtemps qu'à l'accoutumée. J'ai entrevu une fenêtre en plein mois d'août pour me lancer dans mon premier voyage outre-Atlantique, seul.
J'ai choisi le Canada suite aux discussions sur le Québec que j'avais eues avec Mathilde, rencontrée sur le chemin de la West Highland Way. Une province qui me semblait parfaite pour commencer par une belle randonnée. Le reste du voyage s'est organisé assez naturellement, au gré des lignes de transport avec la traversée du pays comme seul objectif.
Comme d'habitude, j'ai pris soin de consigner chaque soir mes souvenirs de la journée. Voici mes quelques notes, agrémentées d'images glanées le long du chemin ! En bout de page, vous trouverez aussi quelques informations sur ma préparation de voyage.

J01 – Une arrivée à Montréal entre bouteille de gaz et éveil religieux
Une semaine que je suis rentré à Paris, après quinze jours d’un tournage dont j’ai hâte de parler. J’oscille entre la fin des préparatifs de mon voyage et un état de léthargie avancé. Ma tête tourne un peu. J’avance à l’aveugle en traçant de longs itinéraires dans un pays immense. Je sais comment tout commencer, j’ai une idée de comment je souhaiterais finir. Le reste s’invente au fil des lignes de bus et de train que je découvre.
Puis le jour du départ arrive. Je me lève aux aurores pour arriver bien trop tôt à l’aéroport. Le trajet passe d’un coup. Je n’appréhende pas vraiment, mais me voici à Montréal. Je ressens une forme d’excitation prégnante, diluée dans un drôle de fouillis d’irréel et de fatigue. La navette me dépose à une demi-heure du centre et le temps magnifique m’incite à m’y rendre en marchant, traversant un grand mélange d’austérité bétonnée et de vie haute en couleur. Deux choses me frappent, évidemment : la largeur des rues et le style des bâtiments, très hétérogène. Je sens une ambiance cosmopolite, ouverte et un léger aperçu de démesure.
Je rejoins le Décathlon local pour y acheter une bouteille de gaz puis flâne sans but dans les rues. C’est là qu’un évangéliste du nom de Yves vient me clamer que Jésus s’est sacrifié pour moi. On discute un moment. Il faudrait que j’accepte la religion dans ma vie pour avancer et me garantir l’accès au paradis le plus tôt possible : demain, je pourrais bien disparaître. Un peu taquin, je souligne que rejoindre sa foi en claquant des doigts en échange d'un accès au ciel me semble un tantinet opportuniste… Apparemment, pas. Peut-être faudrait-il que je suive cette voie. Je décide de remettre ce questionnement à plus tard pour continuer à vivre dans le péché.
Je le remercie pour notre petit bavardage et remonte vers la vieille ville où se déroule la marche des fiertés. Une surprise sympathique, je reste un moment à observer les chars et autres danseuses et danseurs (c'est incongru, après une discussion portant sur la religion). Étrangement, tous les groupes semblent sponsorisés par l’une ou l’autre grande multinationale de ce pays. Cela me semble un peu dissonant mais je préfère profiter de l’ambiance joyeuse qui se dégage du cortège. J’enchaîne par un petit passage vers le port avant de prendre le chemin de mon dortoir.
Le temps change d’un coup : c’est sous la pluie que j'arrive pour prendre mes quartiers. C’est très étrange : à chaque fois, j’appréhende un peu les auberges de jeunesse, comme une légère anxiété sociale planante. Pourtant, c’est un cadre qui me plaît beaucoup. Carrefour de tellement de profils différents, c’est à chaque fois extrêmement calme et respectueux.
J02 – Journée de bus vers Sainte-Anne-des-Monts
Ce matin, je me rends à la gare d’autocars, direction la Gaspésie. Mon bus part tôt, signant le début d’une longue journée de transport. Mais n’allons pas trop vite en besogne : ce serait oublier que j’ai failli m’enfermer à l’extérieur du dortoir, ce matin. Avec toutes mes affaires en dedans, bien sûr.
Bien calé dans mon siège, j’alterne lecture et paysage. Une lourde grisaille d’autoroute domine. Puis j’aperçois le Saint-Laurent une fois la ville de Québec derrière nous. Nous traversons la Chaudière-Appalaches puis le Bas-Saint-Laurent. Si je ne vois de tout cela que la bordure d’une route, je m’amuse à observer comme les maisons semblent juste posées côte-à-côte, sans clôtures, sans arbres ni autres limites naturelles. Enfin, arrive une dernière escale à Rimouski, où d’agréables embruns marins embaument l'air.



Je grimpe dans un dernier bus qui traverse un enchaînement de zones commerciales avant d’arriver dans le centre de Sainte-Anne-des-Monts, une longue avenue bordée d’immenses locaux de vente. Courbaturé, je m’achète un petit souper avant de m’éloigner dans la périphérie en direction d’une petite auberge nichée au cœur d’une ancienne école, assez atypique. J’assiste à un magnifique coucher de soleil rosé au bord de l’eau avant d’aller me poser pour avancer un peu dans la suite de mon organisation.





J03 – Le début d'une semaine de nature devant le Mont Logan
Ce matin, j’emprunte une navette de la Sepaq pour me rendre au Parc de Gaspésie. Pour la rejoindre, je me lance dans une petite demi-heure de marche. Le temps est clair et la température clémente. De quoi mettre d'excellente humeur de bon matin, malgré un réveil quelque peu endolori par ma journée de bus.

Accompagné uniquement par trois employées du Parc, je discute brièvement et me perds surtout dans mes pensées, bercé par la route. Une fois arrivé à l’accueil du parc, je saute dans un pickup en direction du mont Logan, point de départ de la grande traversée. Il semblerait qu’un groupe de sept personnes manque à l’appel… J’ai donc le chauffeur comme unique compagnon, un grand barbu à la tête de métalleux, travaillant ici depuis 23 ans. Je débarque seul au refuge du Hibou. Assez heureux d’éviter la foule dans un endroit aussi insolite, je dépose mes affaires en souriant avant de partir marcher vers le mont.


À droite, le fameux refuge du Hibou. Derrière la photo, le chemin vers la traversée, plein est. Au loin dans les nuages, le mont Logan.
J’évolue dans une vraie purée de pois, on ne distingue pas bien les points de vue alentours. Plus loin, je croise une famille de trois randonneurs québécois arrivant en sens inverse. Petites présentations, nous allons nous retrouver ce soir au refuge. J’ai le sentiment d’être tombé sur une bonne compagnie. Après un moment à marcher, je me souviens qu’il s’agit d’un après-midi de mise en jambe. Je m’arrête donc dessiner un instant avant de rebrousser chemin.
Je rencontre donc Mario, magasinier à Montréal, Paola qui travaille pour l'environnement au sein de la ville et leur fils de 15 ans, Matthieu. Adorables, nous discutons de tout et de rien. Des différences entre nos deux pays, d'enseignement, de marche et de montagne. D'herbe légale. De leurs anciens passages dans ce parc qu'ils connaissent bien. J'ai le droit à un rapide cours d'expressions québecoises : on m'explique que je dors dans un slip (mon sac de couchage), que le mot écœurant s'emploie dans le sens inverse du français, qu'un ingrédient bizarre se nomme un édashou (en référence à "et / ou"). J'entends parler du skidoo, imaginant pendant plusieurs minute qu'il s'agit de ski de fond, de ski "doux" (raté, c'est une motoneige).
Puis nous finissons nos plats. Seule la lumière blanche d'une frontale et l'orangé doux du feu mourant illuminent notre table. C'est l'heure d'aller se canter.
J04 – Première étape vers le Kalmia
J’ai très bien dormi dans ce refuge de la Chouette. Je me réveille naturellement vers 6h30, pas tout à fait prêt à sauter dans mes bottes mais assez frais. Mes compagnons de nuitée se lèvent dans les mêmes eaux. L’occasion de partager un café et de bavasser pendant un petit moment avant de prendre la route. La journée s’annonce claire et douce. Nous échangeons nos coordonnées puis je prends le chemin vers 8h30.
Je reprends le rythme gentiment tout en sentant que je n’ai pas porté de sac aussi lourd depuis un bon moment. Arrive un premier embranchement puis une petite plate-forme de camping, au bout de 3km. À partir de là, le chemin s’engouffre dans la forêt. J’arrive rapidement à un refuge placé au bord d’un lac où je décide de m’arrêter pour casser la croûte. Je mange sans trop traîner et pars remplir mes gourdes dans l'eau du lac. Le soleil tape mais la température reste agréable, rafraîchie par une légère brise intermittente.


Toute la partie restante me paraît plus longue et un peu plus complexe. Je ressens le besoin de me poser un peu mais décide de continuer jusqu’à une éventuelle indication, pour essayer de saisir combien de temps de marche il me reste. Mais l’indication n’arrive jamais. J’enchaîne donc plusieurs moments de marche automatique avant de me réveiller un peu et de m’accorder une pause. C’est amusant d’observer à quel point le chemin se perd parfois sous la végétation environnante. Règne aussi une très agréable odeur d’arbres qui contraste avec les parties proches de l’eau.


Je force un peu sur le dernier kilomètre et finis par arriver au « camping » du Kalmia. Me voici donc devant une petite plate-forme en bois taillée pour une tente unique. C’est pittoresque. Je me lance dans le montage du campement et tire une corde entre deux arbres pour suspendre mes affaires. Le nœud que j’improvise n’est pas du tout réglementaire, ce qui me permet de me noter à moi même : apprends les foutus nœuds, non de non !


Un passage près du fleuve pour une rapide lessive et un brin de toilette plus tard, je m’apprête à déguster une fiesta de chili lyophilisée avant de me lover dans mon sac de couchage.
J05 – En marche vers le campement du Saule
Réveillé naturellement vers 6h-6h30, je n’ai ni bien dormi, ni mal dormi. Un peu fourbu, je sors la tête de la tente pour constater que rien n’a bougé, dehors. En effet, la veille, avant de fermer définitivement les yeux une fois la nuit tombée… j’ai entendu des bruits, proches de l’endroit où j’avais pendu ma nourriture et mon sac. Des branches qui craquent à répétition, un bruit de respiration et un léger grognement qui s’est rapproché de ma tente. Interloqué, c’est surtout le fait d’avoir laissé mes chaussures dehors qui m’a inquiété. L’imagination l’emportant, j’ai pensé à la paire, happée d’un coup de mâchoire par une bestiole sauvage me forçant, bon an mal an, à marcher pieds nus sur le chemin le lendemain. Après un court instant, entendant toujours quelque chose rôder, j'ai allumé de la lumière dans le but d’éloigner l’éventuel nuisible et de rentrer mes bottes. Je n'ai rien vu. Est-ce que tout cela n’était que le fruit de mes pensées vagabondes (et du panneau indiquant la présence de lynx) ? Sans doute.
Je me lève, me prépare un café et commence à plier mon barda. Le temps est gris, maussade, humide. Ma petite lessive de la veille est encore gorgée d’eau et mon pantalon respire la rosée. Bon, on a connu plus joyeux mais je range tranquillement et décolle de ma petite plate-forme en bois.


Une installation de séchage inefficace
Puis je marche, marche et marche. Je m’enfonce dans la forêt et le chemin disparaît de plus en plus dans les herbes sauvages. Ça monte, monte et monte. Au bout d’un moment, j’atteins le sommet et distingue enfin le ciel au dessus de la ligne d’horizon. Je suis entouré d’arbres minuscules habillés d’une dominante bleutée. Je sens parfois le soleil chercher à percer, mais aucun rayon ne traverse l’épaisse couche de nuages.


Le temps d’un rapide casse-croûte à l’orée du mont Arthur-Allen et je reprends la marche alors qu’une légère bruine commence à tomber. Je redescends abruptement vers un petit cours d’eau au bord duquel je m’octroie une nouvelle pause, voyant la montée qui va suivre. Et qui va clairement m’achever, vers le mont du Blizzard, où j’arrive essoufflé. L’humidité ambiante me fatigue. Mais je suis presque au bout. Dernier coup de collier avant de bifurquer vers le pic de l’Aube. Un magnifique point de vue, qui doit être impressionnant par temps dégagé. Je m’y pose une vingtaine de minutes pour dessiner et repars, poussé par une nouvelle pluie naissante. Au passage, je rencontre Étienne et Christine que je vais retrouver le soir au campement du Saule.


Je tends mes cordes, fais sécher un peu ma tente, vide mon sac et le camp est prêt. Je partage ensuite un dîner avec les deux autres campeurs rencontrés plus tôt. Des habitués de la marche très sympathiques. Étienne travaille à l'assemblée pour le parti Québec Solidaire. Christine s'occupe d'un syndicat d'enseignants. Ils ont laissé derrière eux leurs trois filles pour s'octroyer quelques jours de vacances. En mangeant nos rations, on évoque nos randonnées, la France et l'histoire. Du manque de GR et d'itinéraires vélo au Canada, au contraire de l'Europe. Ils habitent la ville de Québec qu'ils me présentent comme un très chouette endroit... Dommage que je ne m'y arrête pas.
J06 – En chemin pour le refuge du Pluvier
Bye-bye le Saule. Après une nouvelle nuit plus que correcte dans ma tente, le temps s’annonce plus clément ce matin. Un café trop corsé et un rangement de camp plus tard, je salue mes compagnons avant de partir.
Une étape de 15 bornes s’annonce. Ne sachant pas trop à quoi m’attendre, je décide de commencer plus tranquillement qu’à l’accoutumée. Finalement, les premiers miles s’avèrent faciles. Beaucoup de faux plats mais rien d’impossible. Toujours perdu dans la brousse, le chemin est souvent agrémenté de planches ou d’échelles pour permettre le passage. Puis s’amorce une montée franche mais tranquille jusqu’au pic du Brulé, qui culmine à 790m. La vue est belle, les montagnes s’effacent au fur et à mesure dans un superbe camaïeux de bleu. Je décide de me stopper pour manger.

Le chemin ondule à fleur de sommet avant de redescendre… puis de remonter vers le mont Ernest-Menard. Un morceau dont Mario m’avait mentionné le surnom donné par ses enfants lors d’une précédente ascension : le mont Ernest-Connard tant les derniers mètres les avaient gossés. Si je cherche bien, en France, j’en connais un pour qui le surnom fonctionne bien, mais ne versons pas dans la politique… Blague à part, j’ai aussi un peu galéré sur la fin, mon sac à dos commençant à tirer fortement sur mes épaules. Je sens que j’ai besoin de les soulager plus fréquemment.


Le ciel reste obstinément couvert. J’amorce la descente vers le refuge du Pluvier, que je sais implanté à côté d’un petit camping rudimentaire. C’est donc la perspective d’une douche qui rythme mes pas. Une fois arrivé, je prends mes quartiers dans un cabanon vide et cours m’occuper de ma toilette avant que les lieux ne soient trop occupés. Ceci fait, je déroge à la règle de l’autonomie en allant m’offrir à l’accueil un petit paquet de chips et une eau pétillante glacée.

Je me pose tranquillement au bord du lac, le temps d’un croquis, puis retourne au refuge, toujours vide… La lumière décline et le soleil prend une teinte intensément orangée. J’en distingue quelques reflets sur les murs en bois, malgré l’épaisse couche de nuages qui règne toujours en maître dans le ciel. Le signal pour moi de me préparer à manger avant d’aller gentiment rejoindre Morphée.


J07 – Quitter le lac Cascapédia pour La Fougère 
Doux réveil dans un refuge complètement vide. C’était agréable de dormir sur autre chose que mon matelas, mais mon dos me lance. Une fois debout, je m’applique à tout remettre en sac, ce qui me prend forcément moins de temps qu’à l’accoutumée. Le temps de remettre un peu l’endroit en ordre et me voilà parti. Un panneau m’annonce une marche d’environ 12km, assez court donc.
Sur la topographie, j’avais remarqué une belle remontée, jusqu’à un pic situé à 1000m. Mais contrairement à d’autres passages, celle-ci reste très progressive. Je marche donc tranquillement, tout en profitant du soleil qui commence enfin à se montrer. J’entre vite dans une humeur de marche assez introspective. Je pense à l’arrivée, à la suite du voyage… Ainsi, j’arrive en un rien de temps au Mont du Milieu (je salue le pragmatisme de ce nom), situé au centre du Logan et du Jacques Cartier. Comme Mario me l’avait dit, on trouve ici un tube placé de manière à voir ces monts à chaque extrémité. Malgré le temps plus clément, la visibilité reste faible : je n’ai donc pas eu le plaisir de capoter face à la vue. Je m’arrête le temps d’un rapide casse-croûte avant d'entamer la descente.


Rien à dire de particulier, l’étape se grignote vite et bien. Un petit passage au milieu de fougères jaunes orangées change légèrement le décor. Règne aussi, à ce moment-là, une odeur toute différente que je ne saurais décrire. Puis j’arrive vers la fin, croisant ça et là quelques rares coureurs, prémices d’un trail qui vient de commencer et dont le tracé partage quelques morceaux de la randonnée. Il est très tôt, à peine le début de l’après-midi. C’est assez agréable d’avoir une journée plus tranquille. Je monte mon campement puis me dirige vers le lac d’à côté pour y lire pendant des heures avant de vaquer à mon rituel du soir.


J08 – Une étape magnifique au Mont-Albert
Quelle étape ! La plus longue et une des plus intense, mais surtout la plus chouette depuis le départ. Tout commence au réveil, comme d’habitude, à 6h30. J’émerge lentement, le dos meurtri. Le temps de chauffer un café, je commence à ranger mon sac alors qu’une très légère pluie commence à tomber. Belle aubaine. Je m’affaire à protéger ce qui craint le plus, mais heureusement, cet épisode se conclut très vite et ne reprendra pas de la journée. La mécanique commence à être rodée, je suis presque prêt à partir dans les eaux de 8h.


Et comme tous les matins, je chausse mon sac, descends au point d’eau, remplie mes gourdes et filtre mon eau puis me lance dans la course. Les premiers kilomètres passent rapidement ; le soleil commence à briller. Mais au fond, je dois l’admettre : j’en ai assez de cette forêt. Et d’un coup, j’en sors. Enfin, des étendues vallonnées, des pierres, de la visibilité. Je savoure pleinement le plaisir de changer de décor. Quelque chose de plus brut. Le soleil fait briller le sol, le vent m’attaque ouvertement et j’avance avec joie.


Je me fais doubler par un marcheur de Rimouski, Charles, qui vient du lac Cascapédia. Pour lui, l’étape est encore plus longue mais il avance avec une vigueur impressionnante. Je le retrouve quelques centaines de mètres plus loin. Je m’arrête pour partager un rapide casse-croûte avec lui. Il marche sur toute la partie québécoise du SIA, sur plusieurs semaines : il vient de boucler la moitié de son périple. Impressionnant ! Il m’explique : « j’ai dit à mon patron que je partais un mois, il me reprend ou pas quand je rentre, il me paye ou pas, c’est pas grave, mais je pars ». Il m’offre de l’orignal séché (c’est bon) avant de reprendre le large.



De mon côté, je m’engage aussi dans la descente, une longue coulée rocailleuse et orangée. Ça devient rigolo, une petite partie assez technique ! Concentré, j’en viens à bout rapidement, sans voir le temps passer. Je croise un pit stop de fortune pour les coureurs du trail. J’y cause quelques minutes avant de prendre la direction du Mont Albert. Il s'agit d'un aller-retour avant de reprendre le chemin prévu : je laisse donc mon sac à dos, ne prends que mes bâtons, ma gourde et à moi la liberté ! L’ascension d’un kilomètre est raide, mais tellement agréable sans sac. J’avale les mètres sans sourciller avant d’arriver à un belvédère perché un peu avant le mont. Mais d’un coup, une sévère purée de pois se déploie et m’incite à ne pas trop m’attarder. D’ailleurs, le ciel s’est alourdi depuis un moment et le soleil a quasiment disparu.



La descente est un véritable régal. Je saute comme un cabri entre les roches, manquant au passage de me vautrer une ou deux fois, mais quel plaisir ! Je croise quelques autres randonneurs et retrouve rapidement mon sac, très heureux de ce détour. J’entame alors les derniers 8 kilomètres. Qui débutent, toujours dans la roche, mais sur un dénivelé en dent de scie. Et là, le temps se dilate. Peut-être parce que trois personnes différentes m’ont dit que cette partie était interminable… peut-être me l’ont-ils dit parce que d’autres leur ont affirmé la même chose… peut-être qu’on peut remonter jusqu’au au couffin de la création, au moment où une déité quelconque affirma : « cette partie sera interminable »… mais Dieu que c’est long !


Cela dit, rien de compliqué. Le chemin se déroule, les pierres disparaissent au profit d’énormes racines puis d’un chemin de terre. Je m’arrête un instant face à la magnifique chute du Diable. Puis je continue vaillamment la dernière portion. J’arrive enfin à l’orée du camping. Dans lequel j’erre un moment avant de trouver mon emplacement… ne voyant aucune carte pour me l’indiquer. Fourbu, assez content d’avoir bouclé cette journée, je m’affaire à monter le camp. Au loin, j'entends la rumeur d'une route. C'est la première fois en 5 jours.
J09 – Départ du Mont Jacques Cartier vers la Camarine
On s’approche doucement de la fin. C’est ce que je me dis au réveil, en me rendant compte qu’il a dû pleuvoir une bonne partie de la nuit. Ce matin, je pars plus tôt pour rejoindre le point névralgique du parc d'où part la navette vers la suite de la randonnée. En réalité, il faut savoir que je suis à nouveau près du "Centre de Découverte et de Service", point de départ du premier jour. J'avais le choix de continuer d'ici jusqu'au Jacques Cartier ou qu'on m'y dépose le matin pour finir le chemin à l'envers. Cette dernière option m'a été conseillée, plus avantageuse par rapport à l'horaire de la navette retour.
C’est sous la flotte que je prépare mes affaires en maugréant. J’arrive en avance à ma destination où j'arrive à gratter une barre de réseau. Je regarde la météo : a priori, de la pluie est annoncée pour les deux prochains jours au moins. Je réfléchis : vais-je demander s'il reste de la place en refuge pour éviter de camper ? Et puis non, on verra bien sur place.
Chaque siège du mini-bus est occupé et c’est le départ. Sur la route, siège une épaisse couche nuageuse. Puis d’un coup, on en sort comme pète un bouchon de champagne et c’est l’éclaircie, plus forte encore que ce que j’ai pu voir ces derniers jours. Au pied du sentier, grand soleil. Nous sommes assez nombreux à tenter de gravir le sentier. Des gens de tous âges, des enfants... Quatre kilomètres et quelques sur un sentier caillouteux pas trop complexe. Il fait chaud et j’avance tranquillement, sentant un peu le cumul des jours précédents. Alors que le sentier se transforme, on entre à nouveau dans les nuages. Et le vent souffle. Fort. Je monte les petites plateformes en bois placées en guise d’escalier, bien chahuté.
La végétation disparaît assez brusquement pour laisser place à d’immenses étendues de pierres. Au loin, on aperçoit deux caribous : tout le monde s’arrête et se baisse pour contempler. Au bout du chemin, un observatoire, perché. Pas la peine d’espérer une quelconque vue tant l’horizon est blanc. Voyant que les gens s'y massent pour se mettre à l’abris, je décide de rester en bas pour avaler un rapide casse-croûte avant de continuer.



J’avise un petit panneau qui m’indique une distance beaucoup moins élevée que ce que j’imaginais, pour rejoindre l’objectif du jour. Le chemin a disparu. Seule subsiste une immense étendue de rochers et quelques caïrns pour indiquer la voie, ce qui me rappelle le sommet du Ben Nevis. Le vent s’engouffre partout et me siffle dans les oreilles. Au bout d’un moment, j'atteins l’orée d’un chemin boisé. Je m’y engouffre et d’un coup, tout s’arrête. Plus de souffle, plus de bruit, plus rien. Une ambiance mystique règne. Le sentier longe des étendues de tout petits sapins plongés dans un brouillard lumineux, l’herbe luit d’un vert saturé, relevé de centaines de petites baies rouges. On croirait entrer dans un univers de fantasy, dans une forêt magique. Une fine bruine commence à tomber.


J’arrive sans encombre au lieu du camp. Il y règne une atmosphère fraîche et humide. Je profite d’une petite accalmie pour monter rapidement mes affaires. Et bien emmitouflé, j'attends en lisant. Un peu plus tard, je suis rejoint par Charles qui, lui, a continué tout droit depuis le centre de service. Nous partageons un repas vers 18 heures mais il se met à pleuvoir soudainement alors que nous discutons. On finit de manger et chacun retourne à l'abris, mais les lourdes gouttes ont déjà eu le temps de pénétrer une partie de mes affaires... Humide et lourd, je m'enferme dans ma toile de tente en sentant que la nuit ne sera pas agréable. J'espère surtout ne pas me réveiller dans une flaque.


Une petite heure avant le déluge...
J10 – Retour humide au Centre de Découverte et de Service
Aujourd'hui, je n'ai pas sorti mon appareil photo. J'y tiens.
Lorsque mes yeux s’ouvrent vers 5h, réveillé par le vent qui se lève, je constate que ma tente tient bien le coup. Les parois sont humides mais je suis au sec. Je comate une bonne heure, en attendant la levée du jour, à la fois bercé et contrarié par le bruit de l’eau qui claque et ruisselle tout autour de moi. Il a plu toute la nuit.
Je me fais une raison. Quoi qu’il en soit, je vais être mouillé. Autant attaquer au plus vite la tâche ingrate qui m’attend. J’enfile mon pantalon mouillé de la veille et replis tant bien que mal toutes mes affaires, passe dehors récupérer mes sacs (cette fois-là, j’aurais dû laisser tomber l’idée de suspendre ma nourriture et mon sac à dos). Je parviens à ranger sans tout inonder. Reste la tente. Enfin, je suis prêt à partir. Déjà trempé jusqu’à l’os mais prêt. Je passe saluer Charles qui sort la tête de sa tente et je m’en vais.
Ce n’est pas un chemin qui m’attend mais un ruisseau. Je tente au mieux de marcher sur les pierres qui dépassent encore de la surface mais très vite, ce n’est plus possible vu le niveau d’eau et la profondeur de certains trous. En une petite demi-heure, mes chaussures démissionnent. Malgré tout, j’avance d’un bon pas. Entêté, je me suis presque lancé pour finir l’étape d’une traite. Je veux aller le plus loin possible avant de poser mon barda. Et le moral est là : je ne peux rien y faire, alors autant prendre les choses sereinement et relativiser.
Ça, c’est ce que je me dis jusqu’à ce que je sorte du chemin pour arriver vers le mont Xalibu. Comme la veille, c’est une cime rocailleuse, vierge de toute forme de végétation. Ça souffle très fort. Je n’y vois pas grand-chose et manque de me tromper de chemin. La pluie me gifle le visage et le vent glacial me contraint terriblement. J’avance très lentement. La température baisse d’un coup et je ne sens plus mes mains. Tout chahut est vraiment fabuleux... Mais je sens une pointe d’appréhension s’allumer. Ce passage constitue une petite épreuve, jouant avec ma sérénité (comprendre par là que je profère un chapelet d'insanités à voix haute).
S'amorce alors la redescente. La force du vent diminue, je sens la tension qui retombe un peu et mes muscles se décrispent. Reste que je progresse toujours sous des trombes d’eau. Et le chemin qui reprends s’est mué en un petit cours d’eau au fort courant. Je calme mon rythme de marche et finis même par me faire dépasser par un couple ayant dormi dans un refuge un peu plus loin que mon camp. Enfin, j'avise un petit abri dans lequel j'entre, dégoulinant, pour me faire un café bouillant et manger quelque chose.
J’ai du mal à me situer en kilométrage, mais j’ai dû avaler un peu plus de la moitié de l’étape et il est assez tôt. Je reprends un peu plus tranquillement sur un chemin en descente légère, qui ressemble un peu à ce que j’ai déjà pu voir les premiers jours. Les flaques sont toujours omniprésentes mais la pluie finit par cesser. Rien de spécial pour la suite. Je ne m’arrête plus et boucle les derniers kilomètres comme un robot. Sans cérémonie, j’arrive au Centre de Découverte. Je m’installe à une table, baignant dans la flotte et me prépare à attendre la navette qui retourne en ville.
À Saint-Anne-des-Monts, le temps est étrangement similaire à celui de mon arrivée. J’ai l’impression d’être dans une boucle et surtout, je suis envahi par un grand sentiment de « normalité ». J’ai du mal à câbler que je viens de passer 8 jours dans la nature. Non pas que ce soit un exploit mais ce n’est pas anodin non plus. C’est étrange, mais je me sens bien et heureux. Par contre, j'ai la chiasse.
« C’est un criss de canyoning le chemin du Jacques Cartier »
Une employée de la sepaq dans le van de retour.
J11 – Musique et festivités à Rivière-du-Loup
Je me réveille en pleine forme après une nuit dans un vrai lit, seul dans ma petite chambre de l’auberge de la vieille école. La veille, j'ai pu prendre une douche merveilleuse, laver mes affaires dans une vraie machine... Le grand luxe. Le seul problème, c'est que je n'ai toujours pas séché ma tente, la politique de la maison nécessitant de la laisser à l'accueil.
Je traîne un peu avant de réunir tranquillement mes affaires bien étendues partout. Un tour à la réception pour rendre ma clé et je discute un moment avec la propriétaire. C’est une ancienne école, retapée en auberge de jeunesse il y a des années. Elle et son mari cherchaient à acheter quelque chose dans le genre lorsqu’ils ont saisi cette opportunité. Apparemment, il y avait du travail, c’était assez ravagé. À force, le lieu est devenu un sympathique petit hôtel avec des chambres individuelles proposant le nécessaire, pour pas trop cher. Effectivement, je ne peux que recommander.



Je quitte le lieu pour me balader un moment sur la baie de Saint-Anne-des-Monts avant d’aller avaler un petit déjeuner au Tim Hortons local. J’y reste un moment pour régler un dernier point du voyage, des billets de retour à l’est depuis Vancouver. Je trouve heureusement un vol de nuit vers New York, un peu moins cher que ce que j’imaginais, je vais donc pouvoir y passer quelques jours à visiter des musées avant de rentrer à Montréal. J’en profite pour valider une dernière nuit en auberge que j’avais négligée et je me rends prendre le bus.


Rien de particulier au-delà… Je reste concentré sur des trucs d’organisation et je bouquine en parallèle. Le trajet jusqu’à Rivière-du-Loup passe en un clin d’œil. Une fois sur place, je me pose pour attendre Mathilde, que j'ai prévenue de ma venue au Québec. C'est amusant de revoir quelqu’un rencontré plus d’un an auparavant en Écosse. Je suis ravi.
Mathilde m'avait proposé de participer à un petit concert organisé en ville. Petit choc de passer d'une semaine de solitude à une foule d'inconnus ! Mais l'ambiance de cette petite scène, posée dans la cour d'une brasserie, s'avère très accueillante. Je flotte au milieu de tous ces gens en écoutant la musique, d'abord un groupe plutôt indie-rock, puis un autre versant dans le progressif, pour mon plus grand bonheur. On boit des coups, on discute... Puis l'appétit de certains se réveille : il semble que le moment soit parfaitement choisi pour une bonne poutine ! Nous nous traînons donc dans un genre de diner un peu sixties. Tout le monde semble fasciné qu'il s'agisse de ma première poutine. Je me rends très vite compte qu'on ne plaisante pas avec ça ici. En tout cas, c'est bon, surtout à cette heure !



Après un bref retour au bar, nous partons découvrir la colocation que Mathilde partage avec plusieurs de ses collègues. Un ancien bistrot un peu vieillot, à l'ambiance toute particulière, en bord de route. En deux temps trois mouvements, je m'emmitoufle sur le canapé et m'endors comme un loir.
J12 – Flânerie à Kamouraska
Je me réveille de bonne heure. Pas un bruit, je décide de traîner en attendant d’entendre les premiers craquements d’une baraque qui se réveille. Un peu plus tard, j’ai le plaisir de partager un café, détendu, avec Mathilde. Elle me propose d’aller déjeuner à Kamouraska, ce que j’accepte bien volontiers. Nous empruntons donc la 132 pour rejoindre la ville. De belles falaises bordent le côté sud de la route, tandis que le nord laisse entrevoir le fleuve, perdu dans des volutes de brouillard. Plusieurs bâtisses sont dispersées à divers endroits aléatoires. On passe à côté d’un gros bâtiment en tôle, un drôle de cirque, lieu culturel important par ici. Puis nous longeons la tête d’allumette, micro-brasserie où travaille Mathilde et que j’aurais le plaisir de découvrir plus tard.
Après un agréable grilled cheese, nous partons vagabonder, ce qui nous amène au centre d’art situé dans un ancien bâtiment législatif. Une découverte sympathique avec une exposition mettant en scène des plantes trouvées sur les chemins, que je trouve particulièrement belle. Elle joue à la fois sur sa qualité graphique que sur un certain attrait olfactif. Une belle découverte. Malgré la pluie qui tombe à l’extérieur, nous allons traîner sur la côte avant de remonter vers le centre, de visiter l’église et le musée de la ville, qui s’avère intéressant, mais peut-être trop fourre-tout pour vraiment nous captiver.



En fait, je me laisse un peu guider. Je n’ai aucune envie particulière pour la journée, si ce n’est celle de flâner. Au fond, j’ai l’impression que Mathilde aussi, ce qui fonctionne plutôt bien. Le temps passe donc assez vite et très naturellement, au gré des arrêts, des discussions… Je pourrais sans doute me sentir gêné d’accaparer une personne, comme ça, sur sa journée de pause. Mais rien ne semble forcé et c’est très agréable, même si l’horloge tourne irrémédiablement.
En tout cas, il semblerait que l’on vive convenablement, par ici. Et les gens sont chaleureux. Après un rapide café, on décide d’aller à la brasserie pour que je puisse découvrir le lieu et quelques-unes des saveurs locales. Il est superbement situé au bord du fleuve, la vue est toujours un peu bouchée mais laisse présager quelque chose de superbe. Je pénètre dans un bar rempli, à l’ambiance très sympathique et détendue. J’y retrouve deux personnes de la soirée d’hier. On s’installe au comptoir et très vite, j’ai devant moi quatre petits verres, une fondue (bien la dernière chose à laquelle je m’attendais à manger au Québec) et des corn-dogs. Les bières sont délicieuses et l’alcool me monte vite à la tête. Légèrement éméché et emballé par tant de familiarité dans les discussions, je me surprends à regretter de devoir partir si vite.

Bref, un bon moment hors du temps, avant un départ un peu précipité pour ne pas manquer mon bus. Sur le quai, proche de la station service de Rivière-du-Loup, je salue Mathilde et grimpe pour mes cinq heures de route jusqu'à Montréal. Je suis clairement fait.
J13 – De retour à Montréal
Je suis retourné à l'auberge de jeunesse de mon premier soir, qui a le bon goût de se situer derrière la gare de bus principale. La nuit fut reposante, si j’oublie le gars qui est rentré à 4h du matin dans la chambre en gueulant, me réveillant d’un rêve très coloré dont je ne me souviens malheureusement plus. Le temps d’avaler un solide déjeuner et je décide de partir directement vers le jardin botanique, pour arriver à l’ouverture. Une bonne occasion de prendre le métro — je m'intéresse beaucoup aux transports des villes. Le long du trajet, en lisant quelques mots à ce propos, je découvre aussi l’existence d’un monde souterrain. Assez fascinant, même si je ne suis pas certain de prendre le temps d’aller visiter des galeries aujourd’hui.

Aujourd'hui, Montréal vit sous un grand ciel bleu sans nuages, le soleil brûle haut dans le ciel quand j’arrive devant le jardin. Très vite, je sens que je vais apprécier ma visite. La découverte commence dans une large roseraie. Ça sent terriblement bon dans cette atmosphère saturé de bruits d’insectes. Plus j’avance et plus je me sens bien. En bon béotien des fleurs et de la végétation, tout me fascine. Les différents jardins aménagés témoignent d’un grand soin et d’une véritable réflexion. Je commence par le Chinois, puis le Japonais… Cet itinéraire m’amène près d’une serre à insectes : je m’autorise alors un écart pour aller visiter l’édifice. L’entrée n’est pas donnée, mais je pense à mon moi enfant, qui aurait tellement aimé un endroit comme ça. La visite se termine dans un vivarium où virevoltent des centaines de papillons, c’est assez magnifique.



Je continue ma visite à travers la partie des nations premières, les ruisseaux, puis le jardin alpin, peut-être mon coup de cœur. Je passe devant des parterres de fleurs dont les couleurs feraient pâlir d’envie n’importe quelle palette de peinture. J’ai l’impression de découvrir un monde merveilleux…



Puis je me fais une raison. Si je ne veux pas louper le coche, je dois décoller vers le musée des Beaux-Arts. Les musées d’Amérique du Nord ferment très tôt… J’arrive face à un édifice fracturé en plusieurs pavillons, dont je ne comprends pas tout à fait le fonctionnement au début. À force, j’y passe un long moment. Le musée est complet et présente un large éventail d'œuvres. J'avoue avoir traversé certaines salles avec moins de considération, mais je découvre notamment de très bonnes collections d'art canadien.



De retour au grand air, je ressens l'envie de me poser dans l'herbe avant la tombée du jour. Je prends donc la route vers le parc du Mont Royal. Un lieu qui se mérite, vu le nombre de marches à gravir. Énormément de monde au belvédère, je préfère m’enfoncer dans le parc pour trouver un endroit sans personne. Je profite alors de cette occasion pour étendre enfin ma tente qui macère dans mon sac...


Le soleil se couche. La ville se réveille. Je remonte une artère principale très animée pour tuer le temps avant le départ de mon bus. Je trouve la faune montréalaise assez remarquable, très hétéroclite. L'ambiance qui règne diffère vraiment de Paris. Mes pas sont rythmés par de la musique qui se joue à tous les coins de rue. Je finis par m'attabler rapidement aux Foufounes Électriques avant de rejoindre la salle d'attente clinique de l'autocar.
J14 – Premier bus de nuit et arrivée à Toronto
J’ai passé, sans surprise, une nuit exécrable. Entre les vibrations du bus et le siège qui glisse, compliqué de trouver une position correcte. J’ai dormi par intermittence, pas plus de la moitié du trajet. Je débarque cassé à la gare de Toronto, vers 7h du matin.



En sortant d’Union Station, la hauteur des immeubles modernes et leur concentration frappe le plus. Changement d’ambiance. Je m’enfonce dans le centre ville, vertical, dominé par la fameuse tour CN. Le soleil se réfléchit fortement dans les grandes baies vitrées. Il n’y a pas tant de monde dans les rues pendant que je me dirige vers le musée des beaux-arts. Autour du musée, le décor change en petite concentration de maisons de ville.


Le musée possède une vaste collection. J'y découvre quelques artistes très intéressants et je suis comblé. Après quatre heures à arpenter les galeries, je me décide à sortir dans la chaleur. Peu de choix s’offrent à moi : il est déjà presque 15h, les deux autres musées intéressants sont soit en installation d’expo soit trop loin. Je me rends donc à l’auberge de jeunesse à pied pour déposer mon sac avant de ressortir.



Je réalise que l’image que je m’étais faite de Toronto était complètement erronée. Dès la sortie de l’hyper-centre, la large rue se borde de commerce en tout genre, dans des bâtiments très bas. Tout semble très uni et pourtant totalement dépareillé dans les couleurs, la profusion d’enseignes… encore plus quand je passe à travers le quartier asiatique. Chaque centimètre carré de route est surplombé d'un imposant maillage de câbles électriques pour le tram. Tout s'articule autour de quelques rues principales parallèles et chaque chemin perpendiculaire ressemble à un petit quartier résidentiel de petites maisons mitoyennes atypiques. Je traverse plusieurs petits rassemblements, souvent formés autour de musiciens de rue. Règne une ambiance de grand village, antithèse du cérémonieux d'immeubles Hausmaniens ou de grandes unités en béton.


Après un long trajet, j’arrive finalement à mon dortoir dans le quartier de Parkdale. Il est beaucoup plus destroy que là où j’ai dormi précédemment mais fera très bien l'affaire. Après une douche bien méritée, je pars bouquiner dans un parc voisin. Assis dans l'herbe, au pied d'un arbre, je me questionne sur ma pratique de la photographie en voyage. Ai-je une intention derrière tout ça ? Dans un monde où l'image est reine, l'envie de justifier mon acte photographique me revient souvent. Encore plus au sein d'une ville que je découvre étonné mais qui n'est que le décor quotidien de milliers d'individus. Peut-être n'ai-je qu'envie de me nourrir d'atmosphères et de les figer pour m'en souvenir, pour les utiliser comme références dans mon travail... Sans vraiment trouver de réponse à mes interrogations parasites, je repars tourner en rond pendant que la lumière décline.


L'ambiance est étrange. Il y a du monde mais personne n'est posé, il y a très peu de terrasse et je ne ressens pas l'énergie d'un samedi soir. Tout me semblait plus vivant deux heures plus tôt. Je finis par m'attabler sur la terrasse en bord de trottoir d’un rade vide, avant de retourner tranquillement vers mon dortoir.
J15 – Premier jour en Canadien
Je me suis endormi comme une tombe la nuit précédente. À travers mes boules quies, j’ai du mal à distinguer le son de mon réveil qui vient me tirer des tréfonds de ma léthargie. Je me lève tôt car j’aimerais arriver avec une certaine avance à la gare et j’ai un peu plus d’une heure de marche jusqu’à là-bas. Pas de lever de soleil néanmoins, il brille depuis un moment déjà.



Vous remarquerez que je suis passé dans la rue Niagara quand la ville dort...!
Je m’extrais sans un bruit de mes draps, récupère mes affaires et me lance dans les rues vides du quartier ouest de Toronto. Je remonte Queen Street tranquillement, profitant du beau soleil rasant qui réveille les façades. À l’inverse de mon arrivée, je passe ici du village à la mégalopole, voyant d’un coup, au détour d’une rue, les immeubles prendre possession du ciel. J’arrive à la gare et enregistre mon sac sans tarder avant d’aller manger. Je finis enfin par rejoindre mon train.


Le wagon de la classe économique semble assez spacieux. Les sièges sont larges et bien espacés. Je choisis, en bout d’allée, le lieu de résidence de mes trois prochains jours. Il n’y a pas assez de monde pour remplir la totalité des places, je n’aurais donc pas de voisin. Le train n’est pas désert pour autant, j’y observe des gens de tout âge, seuls ou accompagnés. L’équipe nous transmet un rapide brief et la locomotive, une EMD F40PH, se met en marche. Devant moi, un personnage assez particulier parle fort au téléphone. Il jure beaucoup et affirme passer une très mauvaise journée. Il affiche un air assez abattu, semble déprimé et lance des conversations un peu au hasard. Égoïstement, j’espère ne pas me retrouver à écouter ce qui ne va pas dans sa vie. Un peu plus loin, un autre semble s’extasier de petits détails qu’il commente parfois à voix haute. D’autres semblent très silencieux. Ça c’est ma catégorie.

Et le train se traîne lentement, sort de Toronto et s’enfonce dans la forêt. Comme j’avais pu le lire ici et là, il s’arrête régulièrement pour diverses raisons, la principale étant de laisser passer des convois portes-containers. De mon côté, j’observe le paysage, je lis. Puis, je pars visiter le fameux wagon d’observation, où je passerai la grande majorité de mon temps.
J16 – Deuxième jour en Canadien
Rien de particulier, l'horloge est comme suspendue. Je me réveille en forme, même si dormir assis n’est jamais extraordinaire. Le paysage défile tranquillement, toujours très forestier et bordé de lacs dans l’Ontario. Puis devient de plus en plus orangé. C’est agréable. Je m’y plonge, prends quelques photographies à travers les vitres quand un passage de lumière me semble intéressant. Mais je me laisse bercer et meuble la majorité de mon temps en lisant. Je ne cherche même pas à savoir où nous sommes précisément. Le temps passe lentement mais la journée n’est absolument pas harassante. Je regarde Sonatine de Kitano.


Le train marque un arrêt un peu long en gare de Winnipeg, petit changement d’ambiance avec l’arrivée en ville. Je n'ai pas noté grand-choses durant ces journées...



J17 – Derniers instants sur les rails et arrivée à Edmonton
Un nouveau réveil sur mon siège de train après une nuit assez reposante. Après un brin de toilette, je m’en vais accomplir ce qui pourrait devenir un rituel si je décidais d’habiter dans ce train : aller boire mon café dans le wagon panoramique. Puis la journée avance tranquillement. Les paysages aussi. Je finis mon livre du moment, Lonesome Dove, en entrecoupant ma lecture de petits moments d’observation, comme pour me rappeler qu’on avance inexorablement. Un premier arrêt a Saskatoon me permet de me dégourdir un peu les jambes avant de repartir. C’est assez étrange de parcourir autant de kilomètres en train. Je ne sais pas à quel point il faudrait que je me colle à la vitre pour avoir l’impression d’avancer. Je me sens moins contraint qu’en voiture mais moins libre, aussi. Les abords des voies sont beaux mais pas époustouflants pour autant, ce qui doit être davantage le cas de la partie rocheuse du trajet. Quoi qu'il en soit, un tel trajet pousse vite à l’introspection, pour le meilleur comme pour le pire.


L’heure tourne bien, je me suis assoupi, j'ai lu, bu du café, regardé Chunking Express… J’ai passé la journée dans le wagon d’observation. La lumière décline et l’heure parfaite pour boire une bière devant le coucher de soleil arrive à grands pas. Je m’extirpe lentement du wagon quand une voix nous annonce notre arrivée imminente à Edmonton. Nous avons beaucoup d’avance, ce qui est assez rare. Tout se passe alors très vite. En deux temps trois mouvements, je suis hors du train, je récupère mon sac et j’attends un taxi pour le centre-ville. C’est très soudain, je m’étais vraiment relâché ces derniers jours.

J’arrive donc à l’auberge après la traversée d'une partie d’Edmonton, qui a l’air de bien ressembler à ce que j’imagine, en terme cliché, d’une ville d’Amérique du Nord. La nuit tombe quand j’arrive à destination. L'auberge, impersonnelle, a des airs de Première Classe. Mais assez confortable pour que je parte m’allonger sans demander mon reste.
J18 – De la ville à la montagne, en direction des Rocheuses
Une journée qui passe en un éclair. Je me réveille aux aurores et me fais accueillir par un doux crachin, annonçant une journée grise et morose. Arrivé au terminal de bus, la pluie redouble de puissance : je comprends vite que j’aurai peu de choses à observer jusqu’à Calgary. Je me replonge donc dans les chevauchées états-uniennes de Lonesome Dove pendant un long moment, une lecture perturbée par quelques minutes d’assoupissement régulières. J’appréhende un peu mon arrivée dans les Rocheuses tant c’est la partie que j’ai le moins préparée. Tout m’avait l’air compliqué à envisager trop longtemps à l’avance, peut-être ai-je été aussi un peu paresseux… J’avance à l’aveuglette ce qui ne m’aurait pas posé soucis si je ne savais pas à quel point les lieux allaient être bondés.



À droite, un joli petit écoduc !
De Calgary, je n’aurais vu que la pluie et un Seven-Eleven miteux. Je n’en retiens rien d’autre qu’un abominable sandwich de station service et un café sans goût. Je grimpe finalement dans le bus pour Banff. Au fil de la route les montagnes commencent à naître, difficilement visibles derrière les murs de brume. C’est à la fois fascinant et un peu frustrant. Une fois le pied à terre, je déchante un peu. J’ai choisi, un peu par défaut à la vue des nombreuses réservations, le seul camping qui me semblait facilement accessible à pied depuis le village. Mais je n’avais pas vérifié l’emplacement exact, il est à une bonne heure de marche du centre. Je comprends vite à quel point venir sans véhicule complique la chose. Encore plus une fois que j’arrive au camping et que je me met à faire la queue à pied derrière une file de voiture pour me présenter à l’accueil. Je suis donc peu emballé, cette journée grise ne m’ayant pas spécialement tiré vers la bonne humeur.
Enfin, il y a des jours sans et j’essaie de ne pas me formaliser en tentant de réfléchir à la suite. Je me rends compte que le chemin qui m'attirait le plus est très loin et pas du tout accessible en transport. Je décide de me rabattre, pour demain, sur une autre boucle plus pratique d’accès et de profiter de l’après-midi pour réfléchir à la suite, quitte à me lancer plus tard dans une journée un peu extrême. On verra. En attendant, ma tente est montée et le dîner bien tassé au fond de mon estomac. Dans un froid de canard, je m’apprête à me glisser dans mes couvertures pour repartir vers un autre voyage avec Gus McCrae, Woodrow Call, Pea Eye, Deets, Newt et toute la bande…

J19 – Grand tour du Lake Louise et de ses environs
Avant de m'endormir, j’ai hésité à me laisser une matinée tranquille, à partir un peu plus tard pour une marche toute simple. Mais j’ai retourné ma veste au dernier moment. Je me retrouve donc debout avant le soleil, dans le but de me présenter le plus tôt possible au premier bus pour le lac Louise. N’ayant pas de réservation, c’est le seul moyen. Et j’ai le sentiment qu’il faut que je le fasse aujourd’hui. J’arrive à 6h30 dans la file : il y a déjà quatre personnes. J’attends tranquillement dans un froid légèrement mordant et gagne ma place dans le bus. Le soleil se lève tranquillement dans une belle clarté.De mon côté, j’ai du mal à émerger...


Arrivé au lac, je me lance rapidement dans la marche. Il y a déjà énormément de monde, c’est proche de ce que j’imaginais. Devant le magnifique plan d’eau d’un bleu électrique trône un horrible hôtel qu’on dirait sorti d’un parc d’attraction Disney… Je n’ai rien contre les hôtels, même dans la montagne. Mais celui-ci ressemble à une fiante géante. À la lecture de ces propos, vous comprendrez aisément que je ne suis pas de très bonne humeur. Je n’ai rien contre les gens : ils ont autant le droit d’être ici que moi. Mais cette marée touristique, dont je fais moi-même parti, me questionne toujours. Et ces pensées ne me quitteront pas de la journée.
Néanmoins, je m’attaque au long sentier qui m’attend, le plus iconique du lieu. Qui commence par une douce montée, assez longue, jusqu’au Little Beehive, puis au Big Beehive, en passant par le Lake Agnes. C’est agréable, le temps découvert me permet d’apprécier au maximum la vue mais le sentier reste très peuplé. Et à chaque fois que j’observe le lac, j’aperçois la verrue qui le borde, ce qui m’agace. Et le fait d’être agacé m’agace encore plus ! Sacré cercle vicieux… D’autant que depuis le début, je sens une légère douleur latente dans ma hanche et j’ai un peu peur qu’elle se réveille. Je marche assez peu assuré.


À un moment, je sors de mon itinéraire pour m’attaquer au Devil's Thumb. Une montée beaucoup plus technique et abrupte assez réjouissante. Moins achalandée, j’y croise néanmoins quelques randonneurs souriants. Ma douleur disparaît peu à peu ce qui me redonne la confiance nécessaire à gravir le pic, sans encombres. La vue, très belle, valait le coup. Puis je redescends tranquillement pour reprendre la trace de base jusqu'au point de vue des six glaciers.




En bout de course, une journée assez chargée. Mais tout de même riche en panoramas assez époustouflant, je ne peux pas le nier ! Étrangement, je n'ai rien écrit de plus. Je pense que je me suis assoupi sur mes notes, le soir dans ma tente...
J20 – Tour du mont Sulphur et changement de programme
Je me réveille tôt, mais bien embêté ce matin. D'abord, parce que pour la première fois du séjour, je rechigne un peu à sortir de mon sac de couchage. Et aussi car je ne sais pas du tout ce que je vais faire aujourd’hui. Plane toujours l’idée de ce chemin un peu trop éloigné de la ville et je me suis couché en me disant que je statuerai là dessus au réveil. Y accéder à pied me lancerait dans une course d’au moins 10h de marche et la boucle est annoncée comme très technique, donc fatigante. J'envisage de m’y rendre en taxi mais je sens l’addition très salée — ce qui me sera confirmé plus tard. En fait, même si je suis certain que cette marche aurait représenté un très beau challenge, je sens qu’elle commence à ressembler à quelque chose que je veux m’imposer. Envers et contre tout, ce que je n’admet pas, c’est que je ne suis pas trop à mon aise par ici.
Alors que je sirote mon café, je songe à une autre possibilité : me lancer aujourd’hui dans une autre longue marche, accessible sans que ce soit un calvaire et partir plus tôt demain pour visiter Calgary. Une partie de moi s’insurge à l'idée de quitter la nature pour retourner à la ville mais plus j’y pense et meilleure me paraît cette option. J’ai toujours du mal à ajuster mes plans, comme si c’était admettre une forme de défaite : il faudra que je travaille là dessus... En attendant, je change rapidement mon billet de bus, réserve deux musées à Calgary, prépare mon sac pour la journée et saute dans le bus pour Banff.
Je pars donc pour un grand tour de montagne qui s’annonce assez conséquent mais facile. Je l’aborde avec un rythme tranquille, un peu apaisé d’avoir réglé mes affaires du matin. Si le chemin commence en ville, je m’enfonce vite dans une vaste forêts aux arbres gigantesques sur un chemin apparemment réservé aux chevaux, à en juger par les traces. Au bout de la forêt, la végétation se fait de moins en moins dense. Le soleil frappe déjà haut dans le ciel et je retire une à une toutes mes couches. Je m’engage sans m’arrêter dans une longue montée. Si le dénivelé est important, la pente est assez douce pour qu’il s’agisse plus d’une affaire de respiration que d’un effort physique. Autour de moi, la vue sur les montagnes s’impose, majestueuse. Il n’y a pas un humain sur cette portion, que des écureuils et des furets.


Après un moment agréable, j’arrive au bout du sentier et commence à apercevoir des gens. De plus en plus. Mais d’où viennent-ils ? Dès que la vue se dégage, je comprends. Le sommet étant desservi par des œufs, il est bien normal que j’arrive au milieu du poulailler. Je m’extirpe assez vite de cette masse de monde pour rejoindre le versant descendant, m’arrêtant tout de même pour observer la structure de la remontée mécanique, ces choses m’ont toujours fasciné. La descente, plus abrupte, passe tranquillement. J’y croise un peu plus de monde, dont un Canadien d’Ottawa avec qui j’échange un moment : ça fait longtemps que je n’ai pas participé à une petite discussion sur un sentier et ce simple moment éveille ma journée. Je termine la descente en souriant.
De retour au plancher, il me reste quelques kilomètres avant d'atteindre la ville. Passant près des chutes de la Bow, j’avise un banc perché en haut d’une petite montée, parfait pour que je me replonge deux heures durant dans le roman qui occupe vraiment toutes mes pensées du moment. Voyant la fin arriver dangereusement, je me décide à retourner en ville pour boire un coup avant mon retour au camping. Alors que je traverse un grand parc, je me dis que je pourrais sans nul doute me lover dans l’herbe et sombrer instantanément dans une longue sieste. À la place, je m’attable à une providentielle terrasse.
Je finis ma journée en retournant au camping, titubant à moitié. Une unique pinte d'IPA a eu raison de moi. Je me prépare mon dernier dîner au réchaud du séjour et m'enfonce profondément sous mes couvertures, livre à la main.
J21 – Retour à Calgary et visites
Dernier réveil sous la tente du voyage. J’ai ronqué comme une enclume, la tête pleine des images de mon roman malheureusement fini la veille. Je m’applique à ranger minutieusement mes affaires, rappel d’un petit rituel Gaspésien qui me paraît presque loin. Je profite de la préparation de mon café matinal pour laisser le réchaud brûler, afin d’en vider la bonbonne. Une opération beaucoup plus lente que prévu… Ce truc est increvable. Je n’attends plus que ça. Pris par le temps, je me résigne et pars en trombe attraper mon bus. Je trépigne tout le trajet de peur d’arriver en retard alors que je sais pertinemment que ça va passer. Mais ça, c’est moi et l’horaire : l’un des aspects de la vie qui peut le plus me perturber.
Une fois dans le car, presque vide, je me calme enfin. Le moteur vrombit, signant mon départ du parc de Banff. Je reviendrai un jour dans ces belles Rocheuses, mais dans d’autres conditions. Je lézarde dans le bus, la journée s’annonce magnifique et c’est sous un soleil plombant, à son zénith, que j’atteins Calgary. Je m’autorise un fast-food et déménage vers le studio Bell, tout proche. Un bâtiment moderne tout en courbe et arêtes qui abrite un musée… musical.
Quel plaisir d’écouter de la musique pendant une visite. Tout n’est pas extraordinaire et je trouve l’entrée assez onéreuse mais je passe un très bon moment à découvrir des artistes Canadiens ou à écouter les sons de ceux que je connais déjà. Je ressors le sourire aux lèvres. Si j’avais un musée, je serai heureux de savoir que les visiteurs sortent le sourire aux lèvres. Je continue mon voyage vers la salle d’exposition temporaire du musée Glenbow – j’ai découvert la veille que ce grand centre d’art était fermé pour travaux — pour découvrir le travail de Meryl McMaster.


La photo de gauche n'a pas beaucoup d'intérêt. Mais c'est le kit de batterie de Neil Peart !
À la fin de l’exposition, je me remets vaguement en marche, sans but précis et remonte tranquillement au nord, vers la rivière Bow. Je passe par une grande artère piétonne très commerciale. Tout est extrêmement large et étiré. Beaucoup de buildings sont reliés entre eux par des sortes de tubes, ce qui me plaît beaucoup. Je me rend compte qu’il existe ici un réseau aérien entre les bâtiments, à l’image du Montréal souterrain. Je traverse le quartier asiatique, moins pittoresque que celui de Toronto. Puis j’arrive sur une petite promenade le long de la rivière et bifurque naturellement dans un parc situé sur une petite île entre les deux rives de la ville. Je décide alors de m’y poser un moment pour esquisser rapidement la skyline. Elle me semble bizarrement factice. Le soleil descend tranquillement vers l’horizon, me chauffe sérieusement le crâne et j’en bâcle mon dessin. Au loin, un musicien de rue s'affaire sur son violon désaccordé, déterminé à massacrer un pan entier du répertoire classique.
Alors que je m’apprête à partir, un inconnu s'installe sur mon banc et m'adresse doucement la parole, derrière une barbe bien fournie. C’est ainsi que je fais la connaissance de Khurram, un pakistanais habitant Calgary avec sa famille depuis six mois. Très sympathique et doux, il me pose des questions et nous commençons à échanger des banalités classiques de nos vies respectives. Sans s'y attarder, il m'explique qu'il est hypnotiseur et graphologue. Plutôt sceptique de nature, je ressens une pointe de méfiance mais, la curiosité l'emportant, je lui demande ce qui l'a amené à cette pratique et en quoi elle consiste. Il me raconte qu'il s'est intéressé de plus en plus à la graphologie pendant le Covid. Fasciné, il a décidé de quitter son travail pour s'y consacrer pleinement. Il me propose alors d'analyser mon écriture et m'invite à rédiger un petit paragraphe en anglais sur une feuille de papier. Je couche alors une banalité totale, sans chercher à soigner mon écriture. Il s'y penche et plisse les yeux, concentré, pendant un bon moment. Les yeux rivés sur la feuille, il se met à me lâcher des informations :
« You're optimistic but a little afraid of the future...
You seem loyal. You speak rarely and know how to keep a secret. You like to be told personal things, to be trusted.
You seem to enjoy working alone. You're intuitive and make decisions with your head, not your heart. Your self-esteem is a little low, which needs to be adjusted. »
Il m'explique enfin que ma manière de casser plutôt que de boucler la queue des mes g, j, y traduit une certaine forme de culpabilité. Souriant et surjouant un petit peu l'enthousiasme, je le remercie de cette analyse plutôt juste. Je ne veux pas commencer à brandir l'effet Barnum, la lecture froide. Nous finissons de discuter puis Khurram prend congé. Une curieuse rencontre, mais sympathique.


Je quitte le parc pour traîner un moment. À la tombée du jour, j'arrive au parking d'un grand mall en périphérie, départ de mon trajet du soir. J'ai une certaine avance que je met à profit pour finir de vider ma cartouche de gaz, me donnant l’impression d’être un peu hors-la-loi... Le bus arrive, je m'installe. La trajet va être long.
J22 – Arrivée à l'autre bout du pays, à Vancouver
Quand j’entrouvre les yeux, bringuebalé dans tous les sens, le jour brille. J’aperçois qu'un voisin m'a rejoint. Contre toute attente, j’ai dû réussir à m’endormir vers trois heures du matin. Un peu dans le gaz, je reprends mes esprits. Comme par enchantement, le bus s’apprête à marquer une pause ce qui me permet de me jeter sur un café. Le couloir semble rempli de morts vivants tous affalés, bouche ouverte, coincés entre deux sièges, s’éveillant hagards aux premiers signes de la lumière. Les trois bonnes heures qu’il restait à parcourir passent en un claquement de doigts. Je pense que je me suis fait au ratio temps-distances du pays. 3h de transports me semblent d’une rapidité déconcertante. Dehors, on traverse des étendues vides. Au loin, toujours les montagnes. Le soleil embrase toute la vue. La journée s’annonce belle.


Nous arrivons au niveau de la gare de Vancouver, à l’est de la ville. Je souhaite rejoindre le nord pour visiter une galerie. Pour cela, je dois emprunter un bus-ferry. Je me mets en ordre de marche. Je traverse un bout de Chinatown. J’observe les bâtiments plutôt anciens, aux murs marron qui font penser à une sorte d’imaginaire collectif du nord américain. En baissant les yeux, je remarque une concentration croissante de misère. Je suis en train de traverser l’une des artères les plus peuplées de sans-abris de la ville. Les individus que je croise sont comme ces passagers avachis dans le bus… mais à même le sol. Ici et là, des distributions de nourriture bénévole, des tentes, des files entières de nécessiteux. Des gens qui bavent allongés, des déments qui parlent en l’air, d'autres qui discutent normalement mais dont les vêtements et manières trahissent la situation. Et ceux, plus ou moins cachés, qui fument et plus si affinités. Un rappel brutal de l’énorme problème de drogue qui secoue le Canada et les USA depuis des années. Quoi qu’il en soit, j’avance. Il n’y a pas que des sans-abris : personne n’accoste personne et je sens que ce ballet est rôdé depuis longtemps. Chacun vit dans son propre monde, les deux s’aperçoivent mais ne s’entrechoquent pas.


Tout cela me mène néanmoins au fameux bus sur l’eau. La perspective de prendre un bateau que tout le monde considère comme un simple bus m’amuse beaucoup. Rien d’exceptionnel, soyons clair, c’est le principe d’adaptation des transports en commun que j’adore. J’arrive donc sur l’autre rive, où la boardwalk fermée me force à passer par un food court où la bonne odeur est telle que je ne résiste pas et me pose pour déjeuner. Puis j’arrive à la galerie Polygone.


Une fois dehors, j’hésite sur la suite des événements et opte pour la suivante : me poser dans le parc le plus proche, profiter du temps, de la vue sur la skyline et dessiner un peu. Je profite donc de cet agréable moment, du mélange que j’observe entre la ville, le port, les bateaux… Je cuis légèrement et finis par reprendre le ferry pour me présenter à l’auberge de jeunesse, prendre une douche et poser mes affaires.



Je n’ai plus vraiment d’autres buts que marcher jusqu’à la tombée de la nuit. Je remonte une avenue assez agitée, pleine de restaurants et de bars qui commencent seulement à s’animer. Après un passage par des rues plus résidentielles, j’arrive au bord de l’eau où je longe la plage pendant un long moment. C’est agréable de voir à ce point le décor changer en moins d’une heure de marche. Je pousse jusqu’à l’orée du parc Stanley, le plus grand de la ville, et me pose pour lire un peu pendant que le soleil décline dans un orange écœurant — oui, j’ai découvert qu’il y avait une suite à Lonesome Dove, autant dire qu’il ne fallait pas me le dire deux fois.
Quand la lumière s’apprête à disparaître, je retourne tranquillement en ville. Ces larges espaces entre les bâtiments continuent de me fasciner. Aussi, je ne remarque pas vraiment de flux important de voitures, de vélos ou de piétons ce qui casse le sentiment de densité des villes visitées jusqu'à présent. Je remarque l'absence totale de rond point. Le respect des feux piétons. Vancouver est une ville en travaux, mais ce sont des bâtiments qui sortent de terre, là où Paris m'habitue plus au réaménagement urbain. Je retrouve ici cette impression de petits quartiers résidentiels aux abords du centre, avec des immeubles plus éparpillés, moins haut et beaucoup de maisons. Le style reste beaucoup plus moderne que le côté "vintage", s'y j'ose dire, de Toronto. Concernant les transports, l'habitude du métro me questionne quand je traverse ces villes immenses qui n'en disposent pas.
Je termine ma soirée dans le bar attenant à mon auberge. Après une bière désaltérante, j'opte pour un Gin Tonic qui s’avère excellent. Mais ne nous laissons pas endormir par le pouvoir légèrement envoûtant d’un bon alcool…
J23 – Visite et ballade en ville
Ce matin, j’ouvre pour la première fois mes yeux plus ou moins en même temps que mes compagnons de dortoir. J’échange quelques mots avec Chris, un Québécois de mon âge. Nous partons ensemble de la chambre. Il me reste un certain temps avant l’ouverture du musée, je lui propose d’aller partager un café, ce qui nous amène dans un petit restaurant tout proche. J’y commande un solide petit déjeuner dans le but qu’il me tienne au corps pour la journée.
Chris travaillait dans un hôtel entre Jasper et Banff ces derniers mois. En études, il s’apprête à retourner à Montréal demain. Pour venir à Vancouver, il a pris mon chemin inverse, à savoir qu’il est remonté à Edmonton pour prendre le Canadian sur la partie montagneuse du trajet, sans doute assez différente des vastes plaines qui ont rythmé mes 3 jours à bord. Chris, semble fatigué et me regarde avec des yeux plissés perdus au milieu de son visage. Il m’explique que c’était la fête sous notre fenêtre une bonne partie de la nuit. Je n’ai rien entendu… Nous nous séparons après cet instant eggs and bacon. Un type fort sympathique. Je file donc à la galerie d’art de Vancouver.


En sortant, je réfléchis à la suite des événements. Je pourrais aller au musée d’anthropologie qui semble assez réputé mais il est loin et ferme dans peu de temps. La perspective ne me motive guère. Alors, quitte à avoir développé une nouvelle passion pour les jardins botaniques à Montréal, autant aller visiter celui d’ici ! Je me mets donc en route et traverse une bonne partie de la ville. Le temps vire au gris, les immeubles disparaissent et laissent place aux blocs d'habitation, aux maisons. Devant le jardin, le soleil sort à nouveau, pour mon plus grand plaisir. Je flâne un moment au milieu d'arbres majestueux, qui me marqueront autant que les fleurs de Montréal.



Il est temps de partir vers la station de métro la plus proche pour rejoindre l'aéroport. J’arrive avec suffisamment de temps pour m’enregistrer et passer les contrôles sans heurts. Et soudain, je suis aux États Unis — légalement parlant.
J24 – Changement d'ambiance en arrivant à New York
Avant d’arriver enfin à destination, j’ai une connexion à Washington. Alors que l’avion commence son approche, je n’ai toujours pas réussi à m’endormir. J’ai passé les cinq heures de vol à me tortiller dans tous les sens, sans aucun résultat. Il commence à faire jour et j’ai laissé derrière moi la nuit noire de Vancouver, le décalage jouant contre moi. Heureusement, je ne subis pas trop ma correspondance, un vol d’à peine une heure jusqu’à Newark. J’ai un peu honte de prendre un avion pour si peu de temps, il est pourtant plein à craquer.
À l'atterrissage, je suis accueilli par un grand soleil aveuglant. Je me débrouille pour trouver le train pour Midtown, dans lequel la fatigue me tombe dessus comme un boulet de canon. Je manque par trois fois de m’endormir sur mon sac. Puis nous sommes tous cordialement éjectés de la rame et me voilà, d’un coup, dans les rues de New York, la lumière dans la face. C’est assez irréel et je commence à flotter. Entre deux bâillements, je réalise où je suis, une ville totalement ancrée dans ma culture cinématographique. Et je m’apprête à vivre l’overdose de musées qui me faisait rêver depuis un moment. D'un coup, je suis aspiré par le flux de la rue.



Je remonte toute la 7th sans m’arrêter, emporté par le rythme des passants. Ça traverse dans tous les sens, il y a des camions, des voitures, des vélos, des tonnes de personnages, au milieu des bâtiments dont la couleur des briques irradie. Dès que j’essaie de lever la tête, je dévie de ma trajectoire, encore plus quand j’arrive vers Time Square dont les écrans semblent vouloir s’emparer de tout mon champ de vision. C’est assez vertigineux et je sens qu’il me faut vite un café et un casse-croûte. Tout se tasse quand j’arrive à Central Park, malgré le monde présent. C’est amusant de marcher dans un endroit qu’on n’a toujours vu que de haut, en carte postale.


J’arrive finalement devant le Guggenheim, première visite de l’après-midi. Dans mon esprit, c’est un peu mythique. Finalement, j’ai vu de belles choses, mais je m’attendais à une galerie plus grande, plus fournie. Voilà qu’on m’offre un temps que je ne pensais pas avoir. Je fonce donc jusqu’à l’auberge pour y déposer mon sac, prendre une douche bienvenue et repartir vers la Fotografiska. J’en profite pour prendre le métro, encore un symbole. Bien plus industriel qu’à Paris, avec ses poutres apparentes, il n’a rien à lui envier en termes de bruit, d’afflux humain et de relative complexité : je m’y trouve donc plutôt à mon aise, j'observe les panneaux rédigés en Helvetica et repense à certaines scène cultes qui s’y sont déroulées.



Dans la galerie photo, manque de bol : c’est une exposition que j’ai vue au musée du Luxembourg quelques années auparavant, à propos de la photographe Vivian Maier. La piqûre de rappel n’est pas désagréable pour autant. J’y découvre au passage le travail de deux autres photographes.
À la sortie, j’entreprends une petite marche vers le sud, en pensant vaguement atteindre le bord de l’eau pour le coucher du jour. Un peu ambitieux, je me contente donc d’aviser un sympathique petit bar avec terrasse pour tranquillement finir la soirée avant de retourner à l’auberge. Même si j’apprécie souvent déguster un verre seul, c’est peut-être un de ces soirs où voyager avec quelqu’un, potentiellement plus extraverti, m’aurait plu. J'ai l'impression que dans une telle ville, l’ivresse se partage…
J25 – Journée au MoMa et concert de Jazz
J’ai encore dormi comme une brique. Mon réveil ressemble à beaucoup d’autres et je commence à manquer de vocabulaire pour éviter de me répéter, passons. Le temps de me préparer, d’aller boire un café bien trop cher payé sur une petite terrasse à quelques blocs de l’auberge et je me met en route pour le MoMa, mon objectif principal de la journée.
J’y suis bien resté six heures, en tout cas assez longtemps pour que disparaisse mon idée d’enchaîner par le Whitney, par manque de temps. Honnêtement, si je n’avais pas un peu accéléré ma visite dans les dernières salles, motivé par une faim grandissante, j’aurais pu rester facilement une heure ou deux de plus. Je ne suis pas déçu du voyage, l’importante collection, bien mise en valeur, est impressionnante. J'ai enfin visité le MoMa, pour moi ça compte.



Quand je remet les pieds en ville, l’estomac dans les talons, le soleil a bien entamé sa descente. Je m’emploie alors à rejoindre le sud de la ville, avec le but plus ou moins précis d’y observer la Statue de la Liberté. D’une certaine manière, je me dis que ne pas y aller serait comme ignorer la Tour Eiffel à Paris. Après une longue marche à travers East Village, Chinatown et le quartier financier, je me retrouve dans un parc rempli de barrières de construction sans vue correcte sur l’horizon. Tant pis, tout cela n’aura eu que peu d’intérêt mais j’aurais au moins marché un bon moment.
La nuit arrive, il est temps de décider de la suite. J’aimerai aller dans un club pour boire un verre en écoutant du Jazz. J’avais repéré un endroit à côté de l’auberge mais le ticket d’entrée s’avère élevé et j’aurais l’obligation de manger sur place… Je me retourne donc vers un autre bar, le Smalls, à Greenwich Village.
Le concert est excellent. Face à ces musiciens, je ne peux que m’incliner. J’observe toutes les mimiques de jeu, j’essaye d’écouter à la suite le pianiste, le contrebassiste, le batteur, le saxophoniste… Quel plaisir. Pendant que la musique bat son plein, je descends pintes et negronis. Je me dis qu’il a dû y avoir, ici, des moments musicaux exceptionnels. Quand le concert se termine, j’apprends qu’un second va avoir lieu, ce que j'ignorais. Je décide de rester un moment. Pas mal de gens décalent, mes voisins changent, je campe sur ma petite chaise au premier rang en observant les prochains musiciens se préparer. Le second groupe amène un changement de dynamique. Là où j’étais principalement attiré par le piano et le saxophone au début, voici un ensemble plus démonstratif au niveau du basse batterie. Quel pied ! Je ferme les yeux, vis le concert en essayant au mieux de me concentrer sur chaque partie. Les paupières closes, j’observe le vaste champ de couleurs qui s’offrent à moi. Un piano plutôt bleuté, un saxophone blanc vif et une basse lourde et grise. La batterie, quant à elle, crée des vides et des éclats de lumières. À côté de moi, un gars sympa bouge et ressent la musique, comme moi. Mais dans la salle, je vois deux personnes stoïques. Pas même un pied battant timidement le rythme. C'est un détail qui me perturbe.



Une pause finie par être annoncé. Pause qui annonce aussi le moment de choisir : je décide, vu l’heure, de rentrer. Une partie de moi serait restée jusqu’au bout. Mais c’est la partie qui m’aurait amené à lâcher une somme démente et à souffrir d’un gros mal de crâne le lendemain. En partant vers le métro, je remarque que j'ai l'impression d'être le personnage français du film à chaque fois que je pense dans ma langue. C'est une drôle de sensation ! Bon, en l'occurence, je suis surtout le personnage un peu torché de l'histoire...
J26 – Visite du MET dans la brume et retour au Québec
Au réveil, c'est le revers de la médaille. J’aurais sans doute pu me passer d’un verre ou deux. Je m’occupe de mes affaires et pars définitivement de l’auberge pour rejoindre le MET. Une fois arrivé, le musée n’est pas encore ouvert et je m’octroie un petit déjeuner bien trop onéreux dans une boulangerie voisine – ça paraîtra peut-être ridicule, habitant Paris, mais j’hallucine du prix de ces soi-disant cafés coupés à l’eau chaude.
Lorsque j’arrive aux portes du musée, une petite surprise m’attends : je ne peux pas entrer avec mon sac. Le garde à l’entrée, désolé, m’explique qu’il a une solution qui peut sembler étrange : lâcher mon sac au kiosque à hot-dog d’en face, pour dix ou vingt dollars. Au pied du mur, je me résigne. Je m’attendais à profiter encore des consignes de musées sans lâcher un kopeck...

Commence donc ma visite dans ce lieu immense. Je ne sais pas trop par quoi commencer. Je décide de concentrer ma visite sur les expositions d’art moderne et contemporain, puis plus anciennes et de passer par les collections asiatiques. Ce musée est juste hallucinant. Je vogue à mis chemin entre le syndrome de Stendhal et la légère gueule de bois... L’heure de la fermeture approche. Je pense n'avoir pas parcouru la moitié du musée. J’aurais apprécié voir une partie spécialement dédiée à l’art d’Amérique du Nord, mais soit. Sur la fin de la visite, je commence à saturer un peu. Il y a tellement de choses à voir que je n’arrive même plus à me poser complètement devant une œuvre, je divague et saute comme une puce de salle en salle sans imprimer quoi que ce soit.



De nouveau dans la rue, il me reste pas mal de temps à tuer avant de rejoindre mon bus pour Montréal. Je ne tiens pas spécialement à marcher des heures avec mon sac, ce soir. Après un moment d’hésitation, je finis par me rendre au métro, pour passer du côté de Brooklyn et me poser dans le parc situé au bord du pont. Après une petite promenade assez tranquille éloignée de l’agitation des rues, je me pose un moment pour dessiner face à un beau coucher de soleil qui clôturera ce rapide passage à New York.

Je retourne à Manhattan vers Port Authority. Je mange dans un Five Guys bondé de monde avant d'aller, tout même, voir Times Square de nuit. Vite lassé par le spectacle d'une publicité géante inondée de monde, je retourne me poser au terminal. Pas une putain de banquette nulle part, le terminal fait peur à voir. Juste avant de monter dans mon bus, un petit gars aux yeux bleus vifs me parle :
« Hey! How tall are you?
— I'm not sure... I think i'm... 6'3", 6'4" I guess ?
— You know, my father was tall like you. My sister inherited his height but not his eyes... I got the eyes ! »


J27 – Derniers instants Canadiens et fin du voyage
Ce ne fut pas mon pire trajet en bus de nuit. Encore une fois j’ai peu dormi mais le véhicule Greyhound proposait des places un peu plus larges qu’à l’accoutumée. Sans aucune compagnie durant tout le trajet, j’ai pu m’étendre et fermer les yeux une petite partie de la nuit. Je me réveille une petite heure avant le passage de la frontière où nous attend la douane québécoise puis nous arrivons à Montréal avec une bonne heure d’avance. Je décide de m’offrir un bon petit déjeuner, histoire de marquer le coup – et de sauter le repas de midi aussi. Puis je me met en marche vers le Vieux-Port : j'ai avisé une expo de photojournalisme qui semble très intéressante.


Assez content d’avoir pu caser cette petite visite, je retourne dans le centre sans but précis. Bon an mal an, je décide de passer dans une fameuse enseigne de fringues japonaise : j'ai un peu négligé ma lessive depuis mon départ de Banff. Et la dernière que j'ai pris le temps de faire n'avait pas été très efficace. La chaleur aidant, tout mon accoutrement dégage un léger fumet de chaussette. Je repars donc avec un joli t-shirt uni et inodore, pour ne pas gêner mon voisin ou ma voisine pendant 7h de vol... Puis, que dire. J'arrive à l'aéroport, comate dans l'avion et atterris à Paris. Et c'est la fin du voyage.
Quelques croquis du voyage...







Mes préparatifs de voyage et mon sac
Entre une grande randonnée, de longues heures de bus ou de train et de la visite urbaine avec des nuits en transport ou en auberge, le voyage fut très éclectique. Je voulais partir avec un unique sac à dos et le plus légèrement possible. Malgré tout, mon voyage entier a été conditionné par mon passage en Gaspésie : j'ai dû amener tout un nécessaire d'autonomie comprenant de quoi dormir et de quoi préparer à manger.
Je pense avoir réussi à limiter au maximum le poids de mon sac. Néanmoins, je n'ai jamais trouvé pratique de devoir trimballer tout ça en milieu urbain : c'est le revers de la médaille de mon choix de voyage, j'en avais bien conscience. J'ai aussi dû payer des suppléments pour pouvoir transporter mon bagage en soute. Toutefois, il s'est allégé au fur et à mesure : en effet, dès la fin de mon petit trek, je n'avais plus besoin de transporter de nourriture, notamment. Avant d'aller plus loin, voici tout ce que j'ai emporté...
Ce que j'ai amené avec moi...
- Sac Forclaz 50+10L (1700g)
Une bonne capacité pour de la moyenne randonnée. J'ai du accrocher pas mal d'éléments à l'extérieur du sac, néanmoins. - Sac pliable Forclaz 25L (300g)
Utile à la journée où pour transporter une charge supplémentaire ponctuellement. Indispensable. - Tente Ferrino Nemesi 2 (2200g)
Ma tente, assez compacte une fois rangée. - Sac couchage Millet 0° (730g)
Même en plein mois d'août, j'étais bien content d'avoir un sac de couchage chaud avec moi. - Matelas Sea to Summit (550g)
Assez basique, pour le moment il me convient. - Batons Alpin Loacker (500g)
Indispensable, à mon sens. - Chaussures Lowa Renegade GTX Mid (1170g)
Ma paire de grolle qu'elle est bien. - Corde (20m) (50g)
De la paracorde assez fine, indispensable. - Paillasson compact (150g)
Petit tapis de mousse, assez utile. - 4 t-shirt Décathlon ou Cimalp (540g)
Deux manches longues, deux manches courtes. Pour un mois de voyage, pas trop mal. Que de la laine mérinos ou du synthétique. - Pantalon 2-1 Forclaz (460g)
Il a finit par me coller un peu à la peau, celui-là (et il avait déjà bien vécu). Je pense qu'en prendre deux n'aurait pas été du luxe. - 4 caleçon (450g)
Ne pas oublier la lessive, de temps en temps, hein... - 5 paires de chaussettes (150g)
Une paire de "secours" en cas de pieds gaugés. Utile. - Tour de cou Forclaz (50g)
En laine mérinos. Indispensable en cas de vent ou de froid. - Veste Patagonia (491g)
Mon coupe vent assez étanche. Dans les faits, je l'avais toujours sur le dos ou à la taille, jamais en sac. - Doublure veste Patagonia (650g)
La doublure en plume de ma parka. J'ai longtemps pensé que c'était le seul élément inutile de mes affaires... Jusqu'à ce que j'arrive dans les rocheuses. - Polaire Cimalp (480g)
Pareil que la veste, jamais en sac. - Housse pluie sac (125g)
Indispensable. - Sac protection (210g)
Mon gros sac à sac, pour protéger mes affaires en soute. - Poche linge propre (90g)
Poche étanche très basique. - Poche compression 25L (200g)
Poche en plastique, pour le linge sale. À revoir. - Poche compression 20L (107g)
Poche étanche que j'utilisais pour la nourriture. - Poche eau 3L (120g)
Indispensable. Ma réserve principale dans laquelle j'essaie de puiser le moins possible. - Gourde filtrante Décathlon 1L (125g)
Indispensable. En version souple. - Gourde en inox 50cl (270g)
J'aurais du en prendre une de 1L, au moins. 50cl c'est trop peu. - Réchaud compact Forclaz (80g)
Rien à dire de particulier. - Cartouche de gaz Primus (230g)
Une cartouche achetée sur place. Increvable. - Popote Décathlon (320g)
Rien de particulier : une casserole, un petit bol et des couverts. - Nourriture déshydratée (600g)
Je suis parti de Paris avec ça, mais j'ai racheté quelques rations à Montréal. Je n'ai plus le détail. En gros, quasiment que du Décathlon (franchement, pas si pire). - Nourriture (soupe) (230g)
De la soupe déshydratée. - Barre énergétiques (750g)
Des barres bien compactes pour le petit déjeuner. J'en ai racheté des supplémentaires à Montréal. - Couteau multifonctions (454g)
Indispensable. - Sac poubelle
En randonnée, on gère ses déchets. C'est le b.a.-ba et si ça vous ennuie, vous n'avez rien à faire sur les chemins. - Oreiller de camping Décathlon (170g)
Un truc gonflable. Assez indispensable, quand même. - Oreiller de voyage Décathlon (100g)
Un de ces horribles tours de cou en version gonflable. Pas certain de l'intérêt, en bout de course. - Masque de nuit (50g)
Essayez de voyager en bus de nuit sans ça... - Brosse à dent (10g)
Le plus basique des modèles. - Dentifrice (100g)
Pareil, le basique. - Savon (250g)
Un flacon de Dr Bronner pour moi et ma lessive. Un peu juste pour un mois. Mais très pratique, en tout cas et on commence à en trouver chez Monoprix pour éviter de trop commander chez Bezos. - Serviette microfibre L (200g)
Classique, même si je n'aime pas la sensation. - Lingettes corporelle (300g)
Pour ma toilette personnelle. - Trousse secours (220g)
Contenant du paracétamol, de l'ibuprofene et surtout des pastilles de Micropur. - Papier toilette
Je ne vais pas vous faire un dessin. - Bouchon anti-bruit
Les merdasses en mousse des auberges de jeunesse. Efficace et surtout : gratuit. - Brosse à cheveux
Beaucoup trop volumineuse, il faut que je change ou que je me rase (non). - Lampe frontale (120g)
J'avais récupéré une lampe frontale merdique qui est décédée en milieu de parcours... Donc, l'un des trucs les plus utile à avoir toujours avec soi... et bien, je ne l'avais pas. - Chargeur solaire Décathlon (420g)
Assez utile, mais j'ai quand même eu beaucoup de grisaille ce qui limite l'efficacité. - Prise de voyage (167g)
Un bloc de voyage universel avec prises USB A et C. - Batterie externe 10000 mA (210g)
La principale, pour le long terme. - Batterie externe magnétique 5000 mA (145g)
Pour l'usage journalier. - Trousse dessin
3 crayons, 3 feutres, une gomme, un taille crayons. - Carnet dessin
Un carnet basique. - Appareil photo Fuji X100V (478g)
Mon appareil photo. - Fuji TCL-X100 II (406g)
Mon complément optique 50mm. - Batterie Fuji (100g)
Deux batteries. - Carte SD
Deux cartes de 64go. - Cable USB-C
Deux cables à tout faire. - Cable Micro USB
Au cas où, à la base pour ma frontale. - Cable iPhone
En attendant d'en avoir un USB-C... - iPad Mini (293g)
Mon iPad. Hors de question de prendre un ordinateur. - Pocketbook Verse (182g)
Ma liseuse. Indispensable.
Total : 16,8 kg
Bon, certains poids sont assez indicatifs. De plus j'ai racheté de la nourriture à Montréal, je n'en transportait presque plus après mon trek et le tableau ne prends pas en compte l'eau quand les gourdes sont pleines. J'imagine qu'on peut se dire qu'en fonction des jours, je devais avoir en 15 et 20 kilogrammes sur le dos. Enfin, Je ne vais pas détailler comment tout était rangé, mais chaque élément avait sa petite place de choix, le tout restant plutôt modulaire grâce au petit sac pliable. En tout cas, si cette liste vous inspire ou vous questionne, discutons-en !
J'ai déjà évoqué les transports. En effet, en avion, mes billets se sont automatiquement retrouvés plus chers. En train, le Canadien m'imposait de disposer mon sac en soute, sans surcout. Même chose pour les bus. La journée, pas de miracle... Je n'ai pas cherché de consignes à bagages, donc tout sur le dos. Mais j'ai beaucoup profité des vestiaires des musées pour tout lâcher.
Au sujet des hébergements, j'ai essayé de réserver à l'avance un maximum de nuit pour réduire les coûts. Le reste du temps, au delà de mes dix nuits en tente, je réservais des lits en dortoir d'auberges de jeunesse. Pour la majorité, je m'y suis pris entre deux à cinq semaines en avance pour éviter les surcoûts. Les seules exceptions sont mes deux nuits dans une chambre à Sainte-Anne-des-Monts et un providentiel canapé vers Kamouraska. Mis à part à New York, ma petite "folie" personnelle, où les tarifs s'envolent, je m'en suis plutôt bien sorti. Pour parler plus crûment, j'avais budgétisé le voyage à 4000€ avant de partir, en comptant une bonne marge d'imprévus, mais je n'ai pas suivi le compte strict de mes dépenses une fois sur place. J'ai bien conscience qu'il s'agit d'un sommes élevée. Sans New York, je pense que j'en aurais économisé un bon quart.
Une majeure partie du voyage a du être planifiée à l'avance. Par exemple, impossible d'arriver comme une fleur dans le parc de Gaspésie : réservation préalable des nuits auprès de la Sepaq et permis obligatoire, même chose dans les Rocheuses. De même, le train Canadian ne part que tous les trois jours. Enfin, il s'agit de ne pas oublier de demander en avance l'AVE (et l'ESTA en cas de passage aux USA) auprès des autorités compétentes — notons que j'ai trouvé les deux procédures assez rapides, pour un citoyen français en tout cas.
En fin de compte, ce fut une sacrée expérience. Je pourrais difficilement la décrire comme dépaysante mais j'ai adoré découvrir le Canada dans ce voyage qui s'apparentait presque à un rapide et gigantesque repérage. J'aurais aimé m'attarder plus longtemps à certains endroits, notamment au Québec. Le temps a filé à la vitesse de l'éclair... Une prochaine fois, qui sait ?!